Volume 34, no 1 et 2, 2002-2003, pp. 101-117   
Les archives en Belgique : une réalité éclatée
Rolande Depoortere
Chef de travaux aux Archives de l'État en Région de Bruxelles-Capitale
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Table des matières
Le contexte national
La législation en matière d'archives
La législation sur la transparence administrative
La législation sur la protection de la vie privée
La loi du 11 décembre 1998 sur la classification des documents officiels
La loi sur la signature électronique du 9 juillet 2001
Le système archivistique national
Les archives des services publics
Au niveau régional et local
Les services d'archives privés
La structure associative
Les pratiques archivistiques
L'acquisition
La diffusion
La préservation
Les grands chantiers
La numérisation des archives
La conservation à long terme des données électroniques
La formation
La collaboration internationale
La formation et le statut des archivistes
Un bilan contrasté
Sites internet de services d'archives


Le contexte national

L'évolution institutionnelle qui marque la Belgique depuis 1970 n'a dans un premier temps pas eu de grandes répercussions sur l'organisation du secteur professionnel des archives. Mais au fil du temps, le passage d'un État unitaire à un État fédéral, et le phénomène de la régionalisation des compétences autrefois nationales, ont fini par accentuer les différences, voire les disparités régionales et communautaires dans ce secteur comme dans bien d'autres. Aussi n'est-ce sans doute pas inutile de rappeler ici qu'au terme de trente années de réformes constitutionnelles, la Belgique compte désormais, sur un territoire de 30.000 km2 et pour une population d'environ dix millions d'habitants dont 58% de néerlandophones, 41% de francophones et 60.000 personnes de langue allemande, trois communautés culturelles et trois régions, entités juridiques et politiques dotées de leurs propres compétences et institutions, qui sont réunies au sein d'un État fédéral. Les compétences des régions touchent surtout au domaine économique, à l'urbanisme, à l'aménagement du territoire, aux voies et moyens de communication, à l'agriculture, à la politique scientifique, tandis que les communautés interviennent dans les matières personnelles, l'enseignement, la culture, les médias, le niveau fédéral gardant des compétences résiduelles, mais importantes telles que la sécurité sociale, la maîtrise de la plus grande partie des impôts, la politique étrangère, la défense nationale. Chaque niveau institutionnel légifère dans sa sphère de compétence, chaque région ou communauté a son parlement et son exécutif. La complexité du système belge résulte du fait que les régions ne couvrent pas des réalités territoriales et humaines identiques à celles des communautés. Les trois régions, qui ont chacune un territoire bien délimité, sont la Flandre, située au Nord du pays, dont la population parle dans son immense majorité le néerlandais, la Wallonie, située au Sud et très majoritairement franc ophone, et la région officiellement bilingue de Bruxelles-Capitale. Les trois communautés se définissent par les personnes qui en font partie. Ce sont la communauté flamande, qui englobe la population néerlandophone de la région flamande et la population néerlandophone de Bruxelles et de quelques communes wallonnes ; la communauté française composée de la population francophone de Bruxelles, de Wallonie et de quelques communes de Flandre, et la communauté germanophone, qui habite dans quelques communes de Wallonie, rattachées à la Belgique après la Première guerre mondiale. Les compétences de toutes ces entités vont encore évoluer au cours des prochaines années, dans le sens d'une accentuation de la décentralisation. Ainsi, la tutelle exercée par le gouvernement fédéral sur les communes et les provinces vient d'être très récemment transférée aux régions, et les Flamands aspirent à une régionalisation de la sécurité sociale, des impôts et de la justice. Dans ce contexte, la monarchie est souvent perçue comme le lien ultime entre les Flamands et les francophones.


La législation en matière d'archives

La loi sur les archives La loi sur les archives actuellement en vigueur date du 24 juin 1955 (Moniteur belge du 12 août 1955), donc de l'époque où la Belgique était un État unitaire. Depuis un an, les Archives nationales (Archives de l'État) sont associées à la rédaction d'un projet de nouvelle loi sur les archives, mais nous ignorons quel en sera le texte définitif et s'il sera approuvé par le parlement fédéral. Au cours de la dernière décennie, plusieurs tentatives visant à réformer la loi ont avorté. Or, la loi de 1955 est devenue clairement obsolète et inadaptée au contexte fédéral d'aujourd'hui. Elle se distingue d'ailleurs par son laconisme sur bien des aspects pourtant essentiels de la gestion et de la conservation des archives. En fait, la Belgique peut s'enorgueillir de posséder la loi sur les archives la plus courte au monde : un texte de 7 articles qui se contente de poser quelques grands principes, de fixer les missions principales des Archives nationales, et laisse au Roi le soin d'en préciser par arrêtés les modalités d'exécution. Un arrêté royal est venu le 12 décembre 1957 déterminer les obligations des administrations publiques quant à la préparation des transferts de documents aux Archives nationales.

La loi de 1955 interdit aux services publics de tous les niveaux institutionnels, depuis le Conseil d'État et les ministères fédéraux jusqu'aux administrations communales, ainsi qu'aux cours et tribunaux de l'ordre judiciaire, et aux organismes d'utilité publique (appelés en Belgique « paraétatiques » ou « parastataux »), de détruire leurs archives sans l'autorisation préalable de l'Archiviste général du Royaume, titre conféré au directeur général des Archives nationales. L'Archiviste général du Royaume jouit d'un droit de contrôle sur les archives de ces producteurs, il en supervise donc la conservation dans des conditions adéquates. À ce titre, il définit les modalités de conservation, diffuse des directives et envoie ses collaborateurs inspecter les locaux d'archivage chez les producteurs.

La législation sur la transparence administrative

La loi sur les archives oblige les producteurs d'archives publiques, sauf les communes et les organismes d'utilité publique, à déposer aux Archives nationales leurs documents de plus de cent ans, et, à condition qu'ils n'aient plus d'utilité administrative, leurs documents de moins de cent ans. Les administrations communales et « paraétatiques » ont la faculté de verser leurs documents aux Archives nationales, mais sans obligation. Elles doivent néanmoins assurer au public l'accès à leurs archives et veiller à la bonne conservation de celles-ci, sous le contrôle de l'Archiviste général du Royaume. En cas de manquements aux obligations définies par l'Archiviste général du Royaume, celui-ci peut obliger les communes et les « paraétatiques » à verser leurs dossiers aux Archives nationales.

L'article 3 de la loi sur les archives précise que sont publiques, c'est-à-dire librement consultables, les pièces de plus de cent ans déposées aux Archives nationales par les services administratifs et judiciaires. Il laisse au Roi la latitude de fixer les règles d'accès aux pièces plus récentes. La publicité des documents administratifs est également consacrée en Belgique au niveau fédéral par la loi du 11 avril 1994. La loi sur la transparence administrative du 11 avril 1994 (Moniteur belge du 30 juin 1994) contraint les administrations fédérales à faire une publicité active sur leur organisation, leurs missions et l'exercice de celles-ci. Elles doivent également répondre de manière positive aux demandes de renseignement des citoyens, entre autres aux demandes de consultation et de copie de documents de portée générale, sauf s'ils font l'objet d'une obligation de secret imposée par la loi. Les documents à caractère personnel peuvent aussi être communiqués, mais avec des restrictions dues au respect de la vie privée. En résumé, chaque citoyen a le droit de consulter et d'obtenir copie des dossiers qui le concernent personnellement, et des dossiers de nature générale qui ne sont pas classifiés (voir point 4 ci-dessous). C'est toutefois à tort que les chercheurs invoquent la loi sur la transparence administrative lorsqu'ils demandent à consulter des documents déposés aux Archives de l'État, car l'article 11 de la loi exclut de son champ d'application les documents transférés dans cette institution par les administrations.

La législation sur la protection de la vie privée

En fait, depuis 1955, l'accès aux documents est de plus en plus réglementé par des textes légaux étrangers à la législation sur les archives, en particulier par la loi sur la protection de la vie privée et ses arrêtés royaux d'exécution. La loi belge sur la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel date du 8 décembre 1992. Le 11 décembre 1998 (Moniteur belge du 3 février 1999), elle a été modifiée pour devenir conforme à la directive européenne du 24 octobre 1995 no 95/46/EC.

La loi sur la protection de la vie privée entend baliser strictement la communication et l'utilisation des données à caractère personnel collectées et conservées par les administrations publiques et les organismes du secteur privé marchand ou non marchand. Son objectif avoué est de restreindre, au nom de la protection de la vie privée, l'utilisation de données personnelles encodées dans les bases de données des services publics, des entreprises, notamment les assurances, les banques, et des hôpitaux, et d'empêcher que de telles informations soient rassemblées et transférées à des tiers sans que les intéressés le sachent. A priori, il n'y aurait là rien qui puisse inquiéter l'archiviste travaillant dans un dépôt d'archives historiques, conservateur de documents ayant perdu toute utilité administrative pour leurs producteurs. Toutefois, le législateur n'a pas prévu dans le texte de 1992 une clause autorisant le traitement et la conservation à long terme de données personnelles dans un but scientifique et historique. La seule limite dans le temps à l'application de la loi est la longévité des individus concernés par les données, puisque les restrictions ne portent que sur les données relatives à des personnes physiques et vivantes. En 1998, les besoins de la recherche historique, scientifique et statistique ont néanmoins été pris en compte. La nouvelle loi autorise, au nom de la recherche scientifique, des exceptions aux restrictions. Mais les termes en sont, sur ce point, si vagues et généraux qu'un arrêté royal d'exécution a dû être promulgué le 13 février 2001 (Moniteur belge du 13 mars 2001) pour en préciser les modalités d'application.

Cette législation régule la création et l'usage des données personnelles se présentant sous la forme de fichiers, automatisés ou non. Par fichier, le législateur entend « tout ensemble structuré de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés, que cet ensemble soit centralisé, décentralisé ou réparti de manière fonctionnelle ou géographique ». La notion de fichier est indépendante du support. Mais elle reste ambiguë, en particulier aux yeux des archivistes pour qui le terme « fichier » a une autre acception plus restrictive. On peut se demander si une série de dossiers individuels, classés systématiquement, par exemple dans l'ordre alphabétique des noms des intéressés, est assimilable à un fichier. Les données à caractère personnel sont toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale. Il ne faut donc pas que les personnes soient nommées dans les documents, il suffit que ceux-ci comportent des mentions permettant de reconnaître par recoupement les individus pour que les données soient considérées comme étant à caractère personnel. Sont exclus du champ de la loi les fichiers créés par une personne physique pour son usage personnel ou domestique. En est également exclu le traitement de données à des fins de journalisme ou d'expression artistique, littéraire, à condition que les données aient été rendues publiques par les personnes sur lesquelles elles portent, ou que les données soient en relation étroite avec le caractère public des personnes ou des faits dans lesquels les personnes sont impliquées. Enfin, les données collectées par la Sûreté de l'État, le service de renseignement des armées, et par les diverses autorités dans leurs missions de police judiciaire et administrative échappent à plus ieurs dispositions de la loi sur la protection de la vie privée.

Tout traitement de données à caractère personnel suppose que le responsable en informe les intéressés, sauf, entre autres, si dans le cadre de la recherche historique, scientifique ou statistique, l'information des intéressés se révélait impossible ou exigeait des efforts disproportionnés. Il faut également déclarer au préalable l'ouverture du fichier à un organe indépendant spécialement instauré auprès du ministre de la Justice pour contrôler la bonne application de la loi, la Commission de la protection de la vie privée.

Sauf accord préalable des personnes concernées, le transfert des données personnelles vers des pays non membres de l'Union européenne est interdit si les pays en question n'assurent pas un niveau de protection des données considéré comme adéquat. Pour apprécier le niveau de protection, le responsable du transfert doit examiner les règles de droit en vigueur dans les pays destinataires, règles générales, sectorielles, professionnelles, et évaluer les normes de sécurité fixées par ces pays pour les données personnelles. Le transfert est néanmoins autorisé s'il est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux des personnes, ou s'il est nécessaire ou juridiquement obligatoire pour la sauvegarde d'un intérêt public important ou pour la constatation, l'exercice ou la défense d'un droit en justice. Ces dispositions ont des conséquences évidentes sur la communication des données par le truchement de l'Internet puisque ce réseau est mondial.

L'arrêté royal du 13 février 2001 relatif au traitement des données personnelles à des fins historiques, scientifiques ou statistiques distingue les fichiers dont les données sont anonymes, ceux dont les données peuvent être rendues anonymes, les noms des personnes étant remplacés par des codes, et les fichiers dont les données ne peuvent être codées ou rendues anonymes. Le troisième cas de figure interpelle directement les historiens et les archivistes. Avant toute consultation et utilisation de données personnelles non codées et qui n'ont pas déjà été rendues publiques par une voie quelconque, le chercheur devrait adresser aux personnes concernées par les données, ou, si cette procédure s'avère impraticable, à la Commission de la protection de la vie privée, une demande d'autorisation argumentée, décrivant l'objectif de sa recherche et la méthode à mettre en oeuvre. La commission devrait donner une réponse motivée dans les deux mois qui suivent la requête. En somme, la recherche historique et scientifique sur base de données personnelles non anonymes dépendrait du bon vouloir de la commission ou des citoyens sur lesquels les données ont été rassemblées. Soulignons que le travail de base de l'archiviste, le classement et l'inventoriage des fonds, est luimême soumis aux clauses de la loi sur la protection de la vie privée, car, classer, décrire systématiquement les documents et les informations qu'ils renferment, créer des répertoires offrant un accès aux données, c'est très exactement le genre d'activité qui est la cible de cette législation.

La loi du 11 décembre 1998 sur la classification des documents officiels

Le même jour qu'il modifiait la loi sur le respect de la sphère privée, le législateur promulguait une loi sur la classification des documents administratifs, analogue à celles qui existent dans presque tous les pays. (Moniteur belge du 7 mai 1999. Arrêté royal d'exécution du 24 mars 2000, Moniteur belge du 31 mars 2000). Ce texte étend aux services de l'administration civile le système de classification en vigueur de longue date dans les forces armées. Il enjoint de classifier selon trois degrés de confidentialité (confidentiel, très confidentiel ou secret) les rapports, correspondances et autres documents dont la divulgation ou l'utilisation inappropriée nuirait à la défense de l'intégrité du territoire national et des plans de défense militaire, à l'accomplissement des missions de l'armée, à la sûreté intérieure de l'État, à la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel, au fonctionnement des organes décisionnels de l'État, au potentiel scientifique et économique du pays, à tout autre intérêt fondamental de l'État, à la sécurité des ressortissants belges à l'étranger.

Les services d'archives historiques, excepté les services fédéraux tels que les Archives de l'État, les archives du ministère des Affaires étrangères ou le Musée Royal de l'Armée, conservent très peu de documents classifiés. Les Archives de l'État en ont reçu récemment et des versements sont programmés pour les années à venir. Les services déposants sont priés d'indiquer après quel délai les fonds seront déclassifiés et ouverts au public.

La loi sur la signature électronique du 9 juillet 2001

Comme tous les États membres de l'Union européenne, la Belgique a dû transposer dans son droit national les dispositions contenues dans la directive sur la signature électronique no 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil datant du 13 décembre 1999. La loi du 9 juillet 2001 (Moniteur belge du 29 septembre 2001) fixe le cadre juridique pour les signatures électroniques, définit le régime juridique applicable aux opérations effectuées par les prestataires de service de certification ainsi que les règles à respecter par ces derniers et les titulaires des certificats. Cette loi donne le feu vert à la dématérialisation des procédures administratives et judiciaires, dans les secteurs public et privé. Le gouvernement fédéral belge a déjà commencé à mettre en place l'e-gouvernance, et les administrations régionales et locales lui emboîtent le pas, fournissant de plus en plus de documents officiels et de formulaires administratifs en ligne.

Comme toute la communauté archivistique le sait, cette révolution dans les supports et les moyens de diffusion de l'information aura -- et a dès maintenant -- des répercussions sur l'archivage à long terme des données. Si nos confrères belges ont parfois eu tendance à se voiler la face devant cette problématique, l'accélération de l'informatisation des procédures de travail, qui résulte de la reconnaissance légale accordée à la signature électronique, ne leur laisse qu'un délai très bref pour s'adapter aux nouvelles réalités.


Le système archivistique national
Les archives des services publics

Au niveau fédéral L'organisation des services d'archives publiques ne reflète pas tout à fait la structure administrative fédérale, elle garde l'empreinte de l'époque où la Belgique était un État unitaire, centralisé. Ainsi les Archives nationales, entendons par là fédérales, couvrent en fait tout le territoire belge, et, en l'absence d'une nouvelle loi sur les archives, restent compétentes pour superviser la tenue des archives dans les administrations des pouvoirs régionaux, communautaires et locaux.

Les Archives nationales portent à cet égard un nom révélateur : Archives Générales du Royaume et Archives de l'État dans les Provinces. Héritage de l'époque à laquelle les régions belges étaient annexées à France révolutionnaire, elles ont été créées en 1796 comme les autres dépôts d'archives départementales françaises. Cette structure s'est maintenue autour d'une direction centrale basée à Bruxelles. Suite à la scission de l'ancienne province de Brabant en trois entités, les provinces du Brabant flamand et du Brabant wallon, et l'arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, trois nouveaux dépôts se sont ouverts ou sont en cours de construction. Actuellement, les Archives de l'État se composent de la direction centrale, appelée Archives Générales du Royaume, dont le dépôt conserve les archives des institutions centrales d'Ancien Régime et de l'époque contemporaine, excepté les archives du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense nationale ; et de seize dépôts provinciaux dans lesquels sont conservées les archives des institutions ayant leur siège dans la province : huit dépôts flamands, sis à Anvers (Antwerpen), Beveren, Bruges (Brugge), Courtrai (Kortrijk), Gand (Gent), Hasselt, Louvain (Leuven) et Renaix (Ronse) ; huit dépôts wallons installés à Arlon, Eupen, Huy, Liège, Mons, Namur, Saint- Hubert, Tournai. Deux dépôts supplémentaires sont prévus en Wallonie, l'un à Mons, d'une capacité de 80 kilomètres linéaires, et l'autre à Louvain-la-Neuve. Un dépôt va s'ouvrir dans les prochains mois à Bruxelles pour accueillir les archives des institutions bruxelloises de rayonnement régional et local.

La création de ces dépôts supplémentaires ne doit cependant pas occulter le réel manque de moyens dont souffrent les Archives nationales depuis deux décennies. Réduction du personnel scientifique et administratif, réduction des budgets, au point de mettre en danger l'exécution des tâches dévolues à l'institution, manque de visibilité dans le paysage culturel belge notamment par rapport aux musées, isolement par rapport aux services d'archives d'autres entités administratives, dû en grande partie aux clivages institutionnels, tous ces facteurs cumulés engendrent chez les archivistes de l'État un malaise nettement perceptible. Et tous de s'interroger sur l'avenir de l'institution : combien de temps encore restera-t-elle fédérale ?

La morosité n'est toutefois pas de mise face à la richesse des collections conservées dans les divers dépôts des Archives de l'État, qui totalisent environ 230 kilomètres linéaires, et des accroissements considérables sont attendus au cours de la décennie à venir, principalement des archives judiciaires et notariales. Il faut souligner que les Archives nationales peuvent recevoir des documents d'origine privée, et que les fonds qui leur ont ainsi été donnés, légués ou qui y sont déposés par leurs propriétaires, représentent une part non négligeable du patrimoine historique de la Belgique. Ajoutons également qu'en tant qu'établissement scientifique, les Archives de l'État mènent de nombreux projets de recherche dans le domaine de l'histoire institutionnelle, en collaboration avec des universités belges et étrangères. A ce titre, elles recrutent régulièrement, dans le cadre de contrats à durée déterminée, des chercheurs qui travaillent sous la direction des archivistes.

À côté des Archives de l'État, il existe plusieurs autres services fédéraux d'archives. Le ministère des Affaires étrangères, tout comme la Banque Nationale, possèdent leur propre service, et l'accès à leurs archives est soumis à un règlement particulier. Depuis quelques années, le ministère de la Défense nationale verse ses archives historiques au Musée Royal de l'Armée et d'Histoire militaire, institution scientifique qui met en valeur de riches collections muséales et archivistiques consacrées aux deux guerres mondiales, et pilote des projets de recherche en partenariat avec les universités. Un autre établissement scientifique fédéral est spécialisé dans la conservation et la mise en valeur de sources relatives à l'histoire de la Seconde guerre mondiale : le Centre d'Étude Guerres et Sociétés (CEGES), naguère intitulé Centre d'Étude et d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Dépôt d'archives et centre de recherche, le CEGES patronne lui aussi des projets d'études historiques en collaboration avec des départements universitaires.

Au niveau régional et local

Les administrations des autres niveaux institutionnels, régions, communautés et municipalités, conservent leurs archives vivantes et intermédiaires, certaines dans de véritables services d'archives, dotés de salles de lecture permanentes ouvertes au public à heures fixes, d'autres dans des structures plus floues, mais qui doivent répondre aux conditions de conservation et d'accès définies par l'Archiviste général du Royaume et à la législation relative à la transparence administrative. Les communes sont encouragées à conserver elles-mêmes leurs archives définitives plutôt que de les verser aux Archives de l'État, et cela pour favoriser le service de proximité. Plusieurs municipalités ont ainsi développé des services performants, notamment la ville d'Anvers dont le Stadsarchief, sous la houlette d'Inge Schoups, mène une politique de visibilité au sein de la vie culturelle et sociale anversoise, qui se concrétise par la mise en place d'un système informatique sophistiqué de communication au public, et la participation à des projets de recherche européens, dont le projet EVA (European Visual Archives) relatif aux archives photographiques. Les archives d'Anvers bénéficient d'un contexte local favorable, car les édiles de la métropole portuaire ont clairement opté pour une politique culturelle et patrimoniale de prestige. On ne peut, hélas, en dire autant d'autres grandes villes belges, malgré les efforts individuels des directeurs de leurs services d'archives et de leurs musées. Un indicateur fiable des moyens dont disposent les services d'archives et de leur dynamisme est l'existence d'un site Internet, ainsi que la précision des données qui y sont affichées, et la périodicité de leur mise à jour.

Les services d'archives privés

De nombreuses sources historiques sont conservées dans des services d'archives privés. Tous les partis politiques se sont dotés d'un service de documentation où des militants, de grandes figures politiques, ministres, chefs de cabinets, déposent ou donnent leurs papiers privés. Plusieurs centres de documentation de ce type ont une infrastructure et un personnel de haut niveau, particulièrement en Flandre. Ainsi le KADOC (Katholieke Documentatie- en Onderzoekscentrum) qui est installé au coeur de l'Université catholique flamande de Leuven, a pour ambition d'étudier l'histoire de la mouvance catholique et du parti catholique de Flandre, et l'AMSAB (Archief en Museum van de Socialistische Arbeidsbeweging), se veut institut d'histoire sociale autant que d'histoire du mouvement socialiste belge et flamand. En Wallonie, l'Institut Jules Destrée, consacré à l'étude de l'histoire wallonne et de l'histoire du mouvement wallon, collecte les archives des militants de ce courant politique. L'Institut Émile Vandervelde, qui est le centre d'étude du parti socialiste belge francophone, conserve les archives du parti socialiste et de quelques ténors de ce parti.

Il faut souligner l'importance des sources détenues par ces centres documentaires parce qu'en Belgique les archives des hommes politiques qui ont exercé une fonction publique, les archives des cabinets ministériels sont considérées comme archives privées, et non comme relevant du domaine public. Dès lors, les ministres et leur entourage ne sont nullement tenus de verser aux Archives nationales les papiers créés ou reçus dans l'exercice de leur mandat. Malgré une opération de sensibilisation des milieux politiques qui dure depuis une dizaine d'années, les Archives nationales n'ont que peu de succès auprès des mandataires, qui, en majorité, préfèrent confier leurs archives au service documentaire de leur parti. Épinglons néanmoins quelques exceptions notables comme l'ancien Premier ministre Wilfried Martens, et l'ancien ministre fédéral Jean Gol, qui ont choisi les Archives nationales comme dépositaires de leurs papiers.

Outre les partis politiques, des fondations privées, généralement des associations sans but lucratif, se spécialisent dans la sauvegarde et la mise en valeur de sources historiques produites par un certain type d'organismes ou de personnes, ou relatives à un thème précis. Faute de pouvoir les citer toutes, nous ne parlerons ici que de celles qui ont des collections d'une ampleur significative. La Fondation Auschwitz conserve des archives privées de victimes du régime nazi, de rescapés des camps d'extermination, le fonds du Comité International d'Auschwitz notamment. Dans un tout autre registre, La Fonderie, Centre d'histoire et d'actualité économiques et sociales de la région bruxelloise, possède une photothèque importante et des fonds d'archives sur les activités industrielles et commerciales de l'entité bruxelloise. L'ASBL Amazone, qui se voue à la défense de la cause des femmes et à l'étude de l'histoire politique et sociale du féminisme en Belgique, dispose d'un centre documentaire et de bases de données recensant des fonds d'archives utiles pour étudier l'histoire des femmes et du féminisme.

Enfin, une dernière catégorie de service d'archives mérite d'être mentionnée : les archives des universités. Leur statut public ou privé dépend du statut de l'université. Leur importance en terme de collections, de moyens humains et matériels varie fortement selon l'établissement, avec, là encore, une disparité flagrante entre les universités flamandes et francophones, qui n'est pas à l'honneur de ces dernières. Qui s'intéresse à l'histoire des sciences, de la pédagogie, de l'enseignement supérieur, se tournera vers ces services d'archives. Mais des sources relatives à l'histoire politique et sociale s'y trouvent également. A titre d'exemple, l'Université Libre de Bruxelles conserve les papiers privés d'anciens ministres tels que Paul Hymans et Frère-Orban, qui lui ont été donnés par les Archives nationales.

Nous n'avons parlé que des services d'archives à caractère historique. Il est impossible d'évoquer dans le cadre limité du présent article les services d'archives privés qui gèrent des archives vivantes, comme les archives d'entreprises ou celles des hôpitaux. En fait, le paysage archivistique belge est multiforme, évolutif. La notion de service d'archives ou de centre de documentation recouvre des situations disparates. L'observateur et l'usager peuvent cependant constater la vitalité des organisations flamandes, liée essentiellement à l'importance attribuée en Flandre à la question identitaire, culturelle et linguistique, en comparaison des faibles moyens accordés aux services bruxellois et wallons.


La structure associative

Dès 1921, les archivistes et bibliothécaires belges se regroupent en une association professionnelle, Archives et Bibliothèques de Belgique - Archief- en Bibliotheekwezen van België, qui a pour vocation de mieux faire connaître les réalités de leur métier, de diffuser de l'information spécialisée au sein de leur communauté, et de publier des études scientifiques en histoire, conservation du patrimoine et bibliothéconomie. Archives et Bibliothèques de Belgique - Archief- en Bibliotheekwezen van België publie une revue de rayonnement international intitulée sobrement du nom de l'association. Déforcée depuis une vingtaine d'années par le départ de nombreux membres flamands, l'association se concentre actuellement sur son activité d'éditeur, en bénéficiant du soutien logistique de la Bibliothèque Royale et des Archives de l'État.

Dans les années 1970, une partie des adhérents flamands d'Archives et Bibliothèques de Belgique font sécession et fondent une association néerlandophone, la Vlaamse Vereniging voor Bibliotheek-, Archief- en Documentatiewezen. Dynamique, écouté par les pouvoirs publics de Flandre, le VVBAD publie un bulletin mensuel d'information destiné à ses membres, INFO, un bimestriel, Bibliotheek- en archiefgids, des ouvrages thématiques, ainsi que, depuis février 2001, une lettre électronique, e-BAD, lisible sur son site Internet (http://www.vvbad.be). Des groupes de travail étudient des questions d'actualité, telles que la conservation des archives électroniques. Le VVBAD organise des stages de formation pour ses membres et des candidats extérieurs à l'association. Il est consulté par les pouvoirs flamands et le gouvernement fédéral sur des questions intéressant la conservation du patrimoine ou le statut des archivistes, notamment les projets de modification de la loi fédérale sur les archives.


Les pratiques archivistiques

Contrairement à ce qui se passe au Québec, la gestion des documents administratifs courants échappe au contrôle des Archives nationales. Tout au plus celles-ci peuvent-elles intervenir lorsqu'elles constatent une mauvaise conservation matérielle des documents, qui met en danger leur conservation à long terme. Mais l'Archiviste général du Royaume n'a aucun droit de regard sur le classement intellectuel des archives courantes et intermédiaires, il ne peut imposer un système d'enregistrement des documents, qui fait d'ailleurs encore souvent défaut dans nombre de services. Par conséquent, chaque administration fédérale, régionale ou locale a ses propres pratiques, codifiées ou non. Nous n'en parlerons donc pas ici et limiterons notre propos à la gestion des documents aux Archives de l'État.

L'acquisition

L'acquisition de documents d'origine privée se fait par don, par legs ou par dépôt. Dans les deux premiers cas, il y a transfert de propriété, le donateur ou le légataire cédant son droit de propriété à l'État, tandis que le dépôt fait des Archives nationales les gardiennes d'un fonds appartenant à un propriétaire privé. Une convention est systématiquement signée avec les propriétaires, dans laquelle sont notamment stipulées les modalités de consultation et de reproduction des archives. Au cours des dernières années, les Archives nationales ont déployé des efforts considérables pour sensibiliser à l'importance historique de leurs documents certaines catégories de producteurs d'archives, en particulier les hommes politiques et les chefs d'entreprises. Si le succès auprès des premiers a été très mitigé, des fonds de grande valeur ont été transférés aux Archives de l'État par des entreprises de divers secteurs, tels que les charbonnages, la sidérurgie, la banque, les assurances. En cas de faillite, les curateurs sont contactés. Les Archives de l'État espèrent ainsi recevoir à terme les archives de l'ancienne SABENA (compagnie aérienne nationale).

Pour les archives des services publics, la politique d'acquisition menée par les Archives nationales repose sur une planification des plus rigoureuses et sur une procédure stricte qui a été définie au début des années 1990. Les Archives de l'État diffusent des directives pour le tri et la conservation des documents, publiant des tableaux de sélection (calendriers de conservation) afin qu'ils soient connus non seulement des producteurs d'archives mais aussi des usagers, de sorte que les chercheurs sachent sur quel échantillon de documents s'appuient leurs travaux. Les services producteurs doivent trier eux-mêmes leurs documents, dresser des inventaires précis, appelés bordereaux de versement, des pièces à transférer aux Archives nationales, et emballer ces pièces dans des boîtes en carton désacidifié, qui ont été conçues spécialement pour les Archives de l'État. Le tri, l'inventoriage, l'emballage se font sous la direction scientifique et le contrôle périodique des archivistes de l'État. Ces derniers dispensent des formations spécialisées au personnel des services producteurs. Les frais de déménagement sont entièrement à charge des services versants. Désormais, les Archives nationales exigent des producteurs qu'ils dressent les bordereaux de versement sous forme informatisée, de sorte que ces inventaires puissent être publiés très rapidement. Au cours de la dernière décennie, la priorité a été donnée au traitement des archives judiciaires. Le ministère de la Justice a engagé des contractuels pour trier et inventorier les dossiers des cours et tribunaux dans toute la Belgique. Des dizaines de kilomètres d'archives ont ainsi été évacués des palais de justice.

La diffusion

Aux Archives de l'État, la diffusion des données relatives aux fonds conservés dans les dépôts occupe une part essentielle des activités du personnel. Il ne s'agit pas seulement de publier de classiques inventaires, mais aussi des guides généraux sur les collections, des guides thématiques consacrés à l'une ou l'autre catégorie de fonds et de producteurs d'archives, des instruments de recherche en généalogie, des brochures destinées aux chercheurs débutants, dans lesquelles sont expliquées les procédures d'archivage et les étapes à suivre pour trouver des renseignements dans les fonds et les collections. De plus, les projets de recherche auxquels participent les archivistes débouchent sur des publications scientifiques, telles que des actes de colloques, des articles, des ouvrages collectifs d'histoire institutionnelle. Enfin, les tableaux de tri (calendrier de conservation) font l'objet de publications destinées bien évidemment aux producteurs d'archives mais aussi aux usagers, car il paraît opportun d'informer ceux-ci des méthodes et critères adoptés aux Archives de l'État pour évaluer et sélectionner les documents. Les Archives nationales ont leur propre imprimerie, et publient plusieurs dizaines d'ouvrages par an, dont on consultera la liste sur leur site Internet (www.arch.be).

Depuis plusieurs mois, une équipe de cinq personnes prépare le transfert sur Internet des instruments de recherche rédigés aux Archives de l'État. Le but est de mettre en ligne à la disposition du public le texte complet des inventaires et des guides thématiques, de manière à ce que les usagers puissent identifier les articles, préparer à domicile leur commande de documents, et, à terme, les commander en ligne.

La préservation

D'une manière générale, tant aux Archives de l'État que dans les autres services d'archives, la tendance est à la sous-traitance par des opérateurs privés, tant pour la restauration des documents abîmés, que pour la reliure des volumes, le microfilmage, la numérisation et la photographie. Les coûts d'achat et d'entretien du matériel nécessaire sont trop élevés, du fait que ces matériels deviennent de plus en plus vite obsolètes avec l'accélération du développement technologique. Par ailleurs, les réductions de personnel que subissent les administrations et le secteur privé en Belgique, pays où les charges sociales payées par les employeurs sont très importantes, expliquent le succès de la sous-traitance. Les règles de la concurrence au sein de l'Union européenne permettent en outre de confier des marchés à des firmes étrangères, appartenant aux pays membres de l'union. Toutefois, cette « délocalisation » reste encore marginale, car les coûts liés au transport des archives sont souvent dissuasifs.


Les grands chantiers
La numérisation des archives

Nul ne s'étonnera qu'outre l'adaptation de la législation sur les archives aux nouvelles réalités institutionnelles, qui a été évoquée ci-dessus, les grands chantiers en cours concernent l'introduction dans les archives des technologies informatiques de l'information et de la communication. Comme leurs confrères du monde entier, les archivistes belges sont conscients des enjeux que représente pour leur profession le développement de ces technologies dans les secteurs public et privé. Ils doivent d'une part acquérir en urgence les connaissances de base, les notions indispensables à la maîtrise de ces nouvelles techniques, afin d'évaluer leur impact sur les pratiques et méthodes archivistiques traditionnelles de travail, et de modifier en conséquence leurs pratiques. D'autre part, ils doivent lutter contre les illusions que l'informatique et en particulier l'Internet ont créées chez les décideurs politiques et les usagers des services d'archives. Les premiers croient souvent qu'« il suffit » de numériser désormais les documents pour régler le problème récurrent du manque de locaux d'archivage, sans mesurer le coût et la difficulté des opérations de numérisation. Tandis que les seconds s'imaginent qu'il est enfantin de construire des bases de données qui leur permettront très bientôt de lire en ligne les documents qui les intéressent, ou de trouver à distance, depuis leur domicile, des renseignements en introduisant simplement un mot, un nom, dans un écran de recherche. Face à l'impatience des uns et à la volonté d'économie budgétaire des autres, les archivistes belges ont bien du mal à défendre la spécificité de leur approche méthodologique, et les besoins en infrastructures de leurs services.

Des projets de numérisation sont lancés depuis quelques années dans divers services d'archives. Si les archives de la ville d'Anvers se sont spécialisées dans la numérisation de photographies et de cartes postales (participation au programme européen EVA, European Visual Archives), les Archives de l'État ont, dès 1993, mis à la disposition du public sur CD-ROM des copies du chartrier des anciens comtes de Namur (fin XIIe-début XVe siècles), et, depuis 1999 sur Internet, les procès-verbaux des conseils des ministres antérieurs à la Seconde guerre mondiale. Dans quelques semaines, elles vont commencer à numériser leurs registres paroissiaux, en commençant par ceux de la province d'Anvers. Comme on peut le constater, les projets des Archives nationales tentent de satisfaire leurs différents publics, généalogistes et chercheurs universitaires. Le choix des documents à numériser repose tant sur l'analyse des besoins des usagers que sur l'existence d'instruments de recherche aisément convertibles au format numérique.

La conservation à long terme des données électroniques

Dans le domaine de la conservation à long terme des documents électroniques, il faut bien avouer que tout ou presque reste à faire. Même s'ils comptent en leur sein des pionniers de l'informatique appliquée aux archives, tels Jean Pieyns, chef de section aux Archives de l'État à Liège, malheureusement décédé il y a peu, les archivistes belges n'ont guère été des précurseurs dans la problématique pourtant essentielle de l'évaluation et la conservation des données créées sur support électronique. Le retard pris sur les pays voisins offre cependant l'avantage classique de profiter de l'expérience d'autrui et d'éviter les erreurs de jeunesse. C'est pourquoi, les archivistes belges s'informent régulièrement des projets développés ailleurs, suivent attentivement la littérature internationale, et les travaux des comités internationaux actifs dans le domaine. Les Archives nationales ont récemment instauré en leur sein un centre documentaire spécialisé en archivistique, qui fait la part belle aux questions relatives à la collecte et à la conservation à long terme des données électroniques.

La formation

L'un des chantiers auxquels les Archives nationales se sont attelées ces dernières années, sans succès hélas, concerne la formation des fonctionnaires fédéraux en matière d'archivage des dossiers produits par leurs services. L'objectif est de familiariser les fonctionnaires à l'importance des archives en tant que support d'information, à la nécessité de rationaliser les flux et le stockage de l'information au sein de l'administration pour rendre celle-ci plus efficace. Les Archives de l'État ont proposé à l'IFA, l'Institut de Formation de l'Administration fédérale, leur collaboration pour mettre sur pied une formation selon le niveau de qualification des fonctionnaires (niveau 1 composé du personnel de niveau universitaire chargé des tâches de conception et de gestion ; niveaux 2 et 2+ composés du personnel de niveau non universitaire chargé de tâches d'exécution). Le programme des cours ne se veut pas trop ambitieux : une journée de formation, ou plutôt de sensibilisation, pour le personnel de niveau 1, et un module de quelques jours, axé sur la pratique, pour le personnel des autres niveaux. Force est de constater que la réforme en cours au sein de la fonction publique fédérale, appelée Copernic, bien qu'elle mette l'accent sur la formation des agents et l'efficience des services, n'a pas contribué à soutenir le projet, qui est resté jusqu'à présent lettre morte.

La collaboration internationale

La collaboration internationale apporte en revanche plus de satisfaction. Depuis de nombreuses années, les Archives nationales organisent des journées d'étude avec les Archives nationales des pays limitrophes, France, Pays-Bas et Allemagne. Au cours des deux dernières années, elles ont renforcé leur représentation au sein du Conseil International des Archives, déléguant des membres dans le Comité des Affaires juridiques intéressant les archives, le Comité sur les Normes de Description, le Comité sur les Technologies de l'Information et le Comité pour les Documents électroniques et autres Archives courantes. Sous leur impulsion, les réunions tenues annuellement par les directeurs des Archives nationales des États membres de l'Union européenne et des États candidats ont pris un caractère plus officiel, l'assemblée des directeurs devenant le European Bureau of National Archives, dont l'avant-dernière réunion s'est tenue à Bruxelles en novembre 2001. Enfin, les Archives nationales belges participent depuis 1996 aux instances organisatrices du DLM Forum européen (DLM est un acronyme de l'expression française « Données lisibles par machine »). Elles suivent attentivement la mise en place d'une formation européenne aux nouvelles technologies de l'information, le programme e-Term, la formation professionnelle étant l'une des priorités que se sont définies les archivistes belges.


La formation et le statut des archivistes

Il faut en effet savoir que, jusqu'à il y a peu, il n'existait pas en Belgique de formation universitaire spécifique en archivistique. Traditionnellement, les archivistes sont diplômés en Histoire, licenciés ou docteurs, et apprennent leur métier sur le terrain, par la pratique, et par des formations de courte durée suivies soit à l'étranger (par exemple le stage technique international de trois mois organisé par la Direction des Archives de France, la formation de base en archivistique proposée par le Rijksarchief aux Pays-Bas), soit en Belgique (journées d'étude ou stages de quelques jours organisés par les Archives nationales ou le VVBAD). Ces stages de formation continue sont d'ailleurs plus que jamais à l'ordre du jour aux Archives nationales. Elles ont ainsi demandé à la Direction des Archives de France de concevoir une formation sur mesure aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Cette formation a démarré en janvier 2002. Entièrement donnée par des consoeurs et confrères français, principalement Catherine Dhérent et Florence Clavaud, elle se compose de quatre modules distincts, de deux ou trois jours chacun, pour un total de dix journées. Les modules couvrent quatre thèmes : la normalisation, l'informatique et l'Internet au service des archives, la numérisation des documents d'archives, et la conservation à long terme des données électroniques. Les cours sont donnés à Bruxelles, aux Archives nationales.

Le besoin d'une formation universitaire en archivistique est toutefois devenu manifeste, mais les universités ont diversement répondu aux attentes de la profession. La diversité des réponses provient en partie de la division institutionnelle qui existe entre l'enseignement francophone, confié aux soins de la communauté française, et l'enseignement néerlandophone, organisé par la communauté flamande. Du côté flamand, le pouvoir organisateur a exigé que toutes les universités se regroupent pour proposer un cursus commun de formation en archivistique. Dès lors, la Vrije Universiteit Brussel, la Katholieke Universiteit Leuven et l'Universiteit van Gent ont rassemblé leurs forces et leurs équipes professorales pour monter un troisième cycle intitulé Archivistiek en Hedendaagse documentenbeheer (archivistique et gestion des documents contemporains), qui s'adresse à tout détenteur du diplôme de licence, quelle que soit sa spécialité en sciences humaines, en sciences de la vie ou de la matière. Ce cursus d'une année couvre tous les aspects de la profession d'archiviste, la conservation matérielle et la préservation des sources, le droit des archives, la diffusion, la place de l'archiviste dans les collectivités publiques ou privées, etc. Il comprend un stage pratique de trois cents heures, qui se déroule dans un service privé ou public d'archives et la rédaction d'un mémoire, à laquelle est réservé un crédit de quatre cents heures. Mis sur pied par Jules Verhelst, ancien chef de département aux Archives de l'État, ce troisième cycle est actuellement porté par les professeurs Frank Scheelings, archiviste de la Vrije Universiteit Brussel, Rosette S'Jegers, Georges Declercq et Jean Vereecken.

En communauté française, excepté à l'Université de Liège, il n'y a toujours pas de véritable formation universitaire dédiée uniquement à l'archivistique. L'Université Libre de Bruxelles a choisi comme axe de priorité le développement d'une licence en Sciences du Livre et des Bibliothèques, et d'un troisième cycle dévolu au traitement informatique de l'information et de la documentation. Dans ces formations, seul un cours très général de quinze heures est exclusivement consacré au traitement et à la diffusion des archives. Un certificat en archivistique, année complémentaire à la licence, vient d'être supprimé du programme de cet établissement. À l'Université Catholique de Louvain, l'enseignement de l'archivistique ne représente que la portion congrue : des professeurs d'Histoire, tels Jean-Marie Yante, ancien chef de section aux Archives de l'État, et Paul Servais, assurent à l'UCL un cours de 30 heures consacré à l'archivéconomie, que les étudiants de la Faculté de Philosophie et Lettres peuvent choisir en option. L'Université de Liège dispense une formation de troisième cycle intitulée Documentation et Sciences de l'Information, dont l'une des orientations permet de se spécialiser en archivistique en une année. Monsieur et Madame Pieyns, tous deux membres du personnel scientifique des Archives de l'État, y donnent les cours fondamentaux d'archivistique et d'informatique documentaire.

À côté des formations de niveau universitaire, il existe depuis plusieurs décennies des formations professionnelles qui s'adressent à des diplômés de l'enseignement secondaire, et débouchent sur l'attribution du titre de gradué en bibliothéconomie et en sciences de la documentation. D'une durée jadis de deux ans, et désormais de trois, ces études donnent une qualification professionnelle comme bibliothécaire et documentaliste à des personnes qui peuvent être engagées dans des services d'archives communales et provinciales, ou des services d'archives du secteur privé. Le programme des cours mettant l'accent sur la bibliothéconomie et sur la gestion documentaire, n'est en réalité pas vraiment adapté aux besoins des services d'archives. En outre, le diplôme est à présent concurrencé par les formations universitaires plus prestigieuses, spécialisées ou non en archivéconomie, et il devient de plus en plus difficile pour un gradué d'occuper une fonction dirigeante dans les services en question. Aux Archives nationales, le graduat n'est d'ailleurs pas reconnu, seuls la licence universitaire et le doctorat en Histoire donnent accès aux postes d'archivistes, qui bénéficient du statut spécial de personnel scientifique fédéral. Mais les gradués ont encore un bel avenir comme employés non dirigeants dans de nombreux services d'archives locaux et régionaux.

Il ne faut d'ailleurs pas se leurrer. Quelle que soit l'amélioration des formations, tant que le diplôme universitaire d'archiviste ne sera pas reconnu partout, et corollaire à cela, tant que la profession d'archiviste ne sera pas mieux reconnue dans sa spécificité, tant qu'elle ne sera pas reconnue comme un outil de rationalisation de la gestion documentaire, comme la garantie d'une préservation scientifique du patrimoine historique de la société belge, le statut professionnel des archivistes restera précaire et n'apportera que peu de considération. Sous-payés par rapport à leurs qualifications, ignorés des pouvoirs publics, dédaignés des historiens, les archivistes belges ont bien du mérite à poursuivre leurs missions dans un pays qui se détourne de son passé ou le détourne à des fins politiques.


Un bilan contrasté

On ne peut certes parler d'une réalité nationale unique pour résumer la situation des archives en Belgique. L'éclatement, tant dans l'organisation des services d'archives, que dans les procédures de traitement des documents et dans la formation du personnel, caractérise la profession aujourd'hui. C'est à la fois le fruit d'un héritage ancien, lié à l'absence de véritable reconnaissance professionnelle et de formation spécifique de haut niveau, et la conséquence des clivages régionaux et communautaires qui ne cessent de s'accentuer dans la société belge. Les différences entre les régions se marquent de plus en plus, à l'avantage incontestable de la Flandre, dont les archivistes, à l'instar de la Vlaamse Vereniging voor Bibliotheek-, Archief- en Documentatiewezen, se montrent modernes, entreprenants, revendicatifs, constructifs, à l'image d'une région qui a un problème identitaire à liquider, une culture et une langue à défendre contre l'emprise des cultures française et anglo-saxonne. En comparaison, il faut bien reconnaître la relative léthargie des régions francophones ou à dominance francophone, malgré des initiatives et des réussites individuelles qui sont trop souvent les arbres cachant la forêt.


Sites internet de services d'archives

Archives de l'État : http://www.arch.be

Musée Royal de l'Armée et d'Histoire militaire : http://www.klm-mra.be

CEGES : http://www.cegesoma.be

Fondation Auschwitz : http://www.auschwitz.be

KADOC : http://www.kuleuven.ac.be/kadoc/

AMSAB : http://www.amsab.be

Institut Emile Vandervelde : http://www.ps.be/iev/

Institut Jules Destrée : http://www.destree.org

La Fonderie : http://www.cocof.be/tourisme/

Université Libre de Bruxelles : http://www.ulb.ac.be

Université Catholique de Louvain : http://www.ucl.ac.be

Université de Liège : http://www.ulg.ac.be

Katholieke Universiteit Leuven : http://www.kuleuven.ac.be

Universiteit van Gent : http://www.rug.ac.be

Vrije Universiteit van Brussel : http://www.vub.ac.be

Archives de la ville d'Anvers : http://www.stadsarchief.antwerpen.be

Archives de la ville de La Louvière : http://www.lalouviere.be

  
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